Thibault Kerlirzin, consultant en intelligence économique vient de sortir un livre sur Greenpeace, une ONG qui déchaîne généralement les passions. Adulée par ses partisans, honnie par ses détracteurs, elle laisse rarement insensible ceux qui s’intéressent aux questions environnementales et a le mérite de porter ses problématiques sur la place publique. Greenpeace, une ONG à double-fond(s) ? met en lumière des éléments détonants qui nous invitent à repenser ce que nous savons ou croyons savoir de cette organisation. Auto-présentée comme David luttant contre Goliath, elle se révèle au contraire être une multinationale prospère, jouissant de plus de 340 millions d’euros de recettes annuelles, comme l’exposent des graphiques qui mettent en perspective ses bilans financiers successifs. Mais le plus étonnant repose ici sur la répartition des dépenses de l’ONG, qui consacre plus d’un tiers de son budget à lever des fonds, là où nous l’aurions légitimement imaginée investir pour mener campagne. En fin de compte, cette dernière activité ne représente qu’un peu plus d’un tiers de ses dépenses totales à travers le monde.
Mais après tout, nous pourrions distinguer le fonctionnement interne de Greenpeace et les combats que l’ONG mène en faveur de l’écologie (même s’il est par exemple surprenant que sa branche américaine ne combatte pas les OGM). C’est pourtant là que le bât blesse. Si l’auteur rappelle brièvement quelques cas qui peuvent prêter à réflexion sur le sérieux et l’intégrité de Greenpeace (Brent Spar, Golden Rice, Resolute…), le livre expose longuement trois cas de « guerre de l’information », comprendre de « guerre économique ». Deux concernent le pétrole, la troisième traite du nucléaire. Or les nombreux éléments présentés sont au mieux gênants, au pire accablants pour la réputation de Greenpeace. En effet, les deux cas dédiés au pétrole soulignent que les entreprises pétrolières ne bénéficient pas du même traitement de la part de l’ONG. Total et Shell sont principalement visées, mais d’autres acteurs, de plus ou moins grande importance, semblent nantis d’une indulgence surprenante. En outre, les faits et chiffres comme présentés par Greenpeace en appui de son argumentaire sont remis en question, sources contradictoires à l’appui, et il devient après coup moins évident de prendre ses assertions pour argent comptant. Ses données, si ce n’est biaisées, semblent du moins orientées pour rendre effective ce que l’auteur, reprenant Edward Bernays, nomme une « ingénierie du consentement ». L’activité militante de Greenpeace s’apparente ainsi à une manipulation de l’opinion mâtinée de cynisme.
La fin justifie-t-elle alors les moyens ? Nous serions tentés de répondre affirmativement, au regard de l’urgence de la préservation de l’environnement. Mais là encore, le Greenpeace de Thibault Kerlirzin pose la question autrement, au travers de ce que l’auteur appelle le « double-fond(s) » de l’ONG : quels sont les éventuels intérêts derrière ces guerres de l’information, et d’où proviennent les financements des campagnes. C’est là que la réputation de Greenpeace risque d’être lourdement atteinte. La galaxie des Rockefeller et de la Tides Foundation finance sa guerre contre le pétrole des sables bitumineux, et des grands acteurs de la « financiarisation des services écosystémiques » ont intérêt à combattre les forages de Total au Brésil. L’environnement semble alors n’être qu’un prétexte. Quant au dernier cas, qui oppose globalement les énergies renouvelables et le nucléaire, il se révèle être une faille qui pourrait coûter très cher à la réputation de Greenpeace : en Allemagne, l’ONG dispose d’une branche business, Greenpeace Energy, partenaire de Vestas, le plus grand Goliath mondial de l’éolien. Un détail que la branche française de l’ONG passe étrangement sous silence dans son combat contre le nucléaire d’EDF et son projet Hinkley Point C au Royaume-Uni… Tout comme les dégâts environnementaux entraînés par l’extraction de néodyme en Chine, une terre rare nécessaire aux aimants des éoliennes et qui fit par exemple du lac Baotou, en 2015, le lieu le plus pollué au monde en raison de cette activité. Des conséquences environnementales catastrophiques que Greenpeace occulte.
Greenpeace est-elle alors une organisation écologiste, ou un « mercenaire vert » déguisé défendant ses intérêts financiers bien compris, ainsi que ceux de ses généreux partenaires et bailleurs de fonds ?
Greenpeace est-elle alors une organisation écologiste, ou un « mercenaire vert » déguisé défendant ses intérêts financiers bien compris, ainsi que ceux de ses généreux partenaires et bailleurs de fonds ?